« Si je suis parti, c’était pour tenter de jouer dans un club de football. Ici au Mali, même pour être sur la liste des joueurs convoqués pour un match, l’entraîneur te demande de l’argent. » Cette vérité lâchée, Ahmed observe un long silence, le regard dans le vide, comme flottant dans la chaleur lourde de cet après-midi à Misra, un quartier populaire de Bamako.
A 19 ans, ce jeune joueur d’un club de la capitale a été refoulé d’Algérie début février. Après avoir essuyé un échec sur les terrains algérois et turbiné sur des chantiers comme ouvrier, il a vu son visa de trois mois expirer. A Alger, la police lui a laissé le choix entre être abandonné en plein désert à la frontière ou payer un billet d’avion pour rentrer au Mali. Il a opté pour la seconde solution.
Depuis bientôt deux ans, en Algérie, les sans-papiers subsahariens sont interpellés et convoyés manu militari dans le sud du pays avant d’être expulsés. Cette pratique du voisin maghrébin suscite régulièrement des mouvements de colère. Déjà, en décembre 2016, l’expulsion de 600 Maliens d’Algérie avait provoqué un tollé général. Lundi 12 mars, des migrants refoulés ont jeté des pierres sur l’ambassade d’Algérie à Bamako.
Dans un communiqué publié le 14 mars, l’organisation Human Rights Watch (HRW) indiquait que les autorités algériennes « ont expulsé de manière arbitraire plus d’une centaine de migrants africains en provenance de divers pays vers une région de non-droit située au Mali voisin, où certains d’entre eux ont été dépouillés par des groupes armés ». Selon le coordinateur de la Maison des migrants à Gao, cité par HRW, il y avait 20 Maliens parmi les refoulés d’Algérie le 6 mars, et 76 le jour suivant.
« Dans le désert, sans eau ni nourriture »
A Bamako, ceux-ci dénoncent les mauvais traitements subis. En janvier 2016, Mouhamed, 27 ans, a été arrêté à Alger puis expulsé « dans le désert entre Tamanrasset et Kidal, sans eau ni nourriture ». Depuis son retour, ses projets se sont évanouis, faute de moyens. « La difficulté, pour un migrant de retour, c’est de savoir à qui s’adresser et par où commencer », confie-t-il, quelques jours après sa rencontre avec les membres de l’Association malienne des expulsés (AME). Depuis bientôt vingt ans, cette association accompagne et oriente les refoulés.
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Amadou Coulibaly, chargé des relations sociales au sein de l’AME, explique que ces migrants bénéficient de l’appui de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) pour financer leurs projets et qu’ils pourraient recevoir des formations d’un organisme gouvernemental. Dans le cadre de la Politique nationale de migration, 250 millions de francs CFA (plus de 381 100 euros) sont disponibles pour financer des projets individuels ou collectifs, selon Boubacar Ndiaye, de la direction générale des Maliens de l’extérieur, et une enveloppe allant de 3 millions à 6 millions de francs CFA est allouée à chaque projet.
« Je n’y crois pas. L’argent que tu mets dans la préparation du dossier est trop important. Et souvent, ils détournent les projets au profit de leurs connaissances. L’attente est souvent longue », rétorque Mouhamed, désabusé comme la plupart des expulsés. « Ils reviennent avec une frustration et une déception vis-à-vis des autorités, comme si elles étaient responsables de leur situation », selon Bréma Ely Dicko, chef du département socio-anthropologie à la Faculté des sciences humaines et des sciences de l’éducation de Bamako.
« Nous ne voyons pas notre avenir. Même demain, si j’ai les moyens, je vais repartir. Personne ne souhaite dépendre de ses parents pendant trente ans. C’est une honte ! », conclut Mouhamed.