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La Croix / La longue route des déplacés d’Abidjan

Les Ivoiriens du Nord et les travailleurs immigrés de la sous-région fuient Abidjan. Ils endurent le pire dans leur traversée


Un Malien grimpe dans un car loué par le gouvernement de son pays pour évacuer ses ressortissants de Côte d’Ivoire, à Abidjan, vendredi 25 mars (photo Marco Chown Oved/AP).



Ils sont 203 exactement dans la bétaillère. Ce sont des Nigériens arrivés d’Abidjan qui retournent chez eux, à Niamey. Leur chauffeur les a pris à Tiébissou, la ville frontière, entre la zone sud, contrôlée par Laurent Gbagbo, et la zone nord aux mains des Forces nouvelles – rebaptisées récemment « Forces républicaines » – soutenant Alassane Ouattara. Avant Tiébissou, ces 203 Nigériens ont connu le pire. Ils se sont comptés, car il a fallu se cotiser pour payer sur la route afin qu’on laisse passer le véhicule.


Des centaines de milliers de travailleurs immigrés et d’Ivoiriens originaires du nord du pays fuient Abidjan et le sud du pays. À Bouaké, des bétaillères et des cars stationnent sur la route du nord, bondés de Nigériens, de Burkinabés, de Maliens, de Mauritaniens, de Guinéens qui reprennent des forces. Ils savent que maintenant ils ne craignent plus pour leur vie.

Ils savent aussi qu’ils ont les mains et les poches vides. Entre Abidjan et Tiébissou, les témoignages concordent. Aux multiples barrages, des militaires, des autochtones, de « jeunes patriotes » soutiens de Laurent Gbagbo les font descendre, les détroussent, les intimident, les brutalisent.




Cette bétaillère, qui transporte habituellement les bœufs élevés par les Peuls du Sahel, a été descendue du Niger par un patron de Niamey qui voulait aider à rapatrier des compatriotes. Ce n’est pas un don. Chacun paie 50 000 FCFA (76 €) pour s’entasser entre les tôles brûlantes, sur des sacs contenant les affaires qu’ils ont sauvées. D’Abidjan à Tiébissou, le chauffeur a dû payer, pour passer, un total de quatre millions de francs CFA (6 100 €) aux multiples barrages.


Plus loin, un autre car bondé, pour une autre destination, la Guinée. Il faudra à Ahmed monter jusqu’au Burkina, puis au Mali pour arriver dans son pays. Ahmed a passé trente-deux ans à Abidjan, où il était tailleur. Il a même été « deux fois en France », tient-il à préciser.


Il y a deux mois, il avait pris soin de renvoyer sa famille au pays. « Sur la route, aux barrages, les miliciens nous rançonnaient en nous disant : “La Côte d’Ivoire est gâtée” (comprendre : fichue). Alors, on va mourir ensemble. » Mais Ahmed ne voulait pas encore mourir. Il a payé quand on l’a frappé.

Aucun de ces déplacés – les autorités de Bouaké préfèrent ce mot au terme de réfugiés – ne se plaint. Tous sont choqués. Ils ont quitté Abidjan ou l’ouest du pays parce qu’ils ne pouvaient plus subir la peur qui ne s’arrête pas et le manque de travail.

Des 10 000 soldats de l’Onuci, Justin n’attend plus rien 

Le Nigérien Ibrahim témoigne : « J’habitais le quartier d’Adjamé, à Abidjan. J’étais vendeur ambulant. Tous les gens sont partis, dans ma cour et dans le quartier. Il n’y a plus rien à manger. Je n’avais pas peur pour ma vie, car le problème est entre eux, les Ivoiriens. Nous, les immigrés, ils s’en fichent. »


Justin est un Ivoirien d’Odienné, une ville du Nord. Lui aussi est arrivé à Bouaké cette semaine avec la famille de son patron, un dirigeant du RHDP, le parti d’Alassane Ouattara. « Mon patron était menacé. Il aurait pu se réfugier à l’hôtel du Golf, où se trouve notre président, mais il ne voulait pas laisser sa famille seule dans Abidjan. »


Pour Justin, là-bas, la confrontation « n’est plus entre partisans de l’un ou l’autre camp. Il suffit maintenant d’être un ressortissant d’un pays de la Cedeao, de ne pas être de l’ethnie bété ou abé ou yacouba, pour être menacé. Dans les quartiers, nous recevons des obus tirés au hasard. Ils les lancent depuis des coins secrets. Tout le monde fuit Abidjan, même des pro-Gbagbo. »

À Bouaké, certains pensent que la capitale ivoirienne se vide pour laisser la place à l’affrontement final. On dit que les Forces nouvelles sont aux portes du Palais présidentiel. On assure que la route de l’ouest est ouverte, depuis la prise mardi de Duékoué.


Des 10 000 soldats de l’Onuci, Justin n’attend plus rien. « Ils viennent toujours après le malheur. Pour la Libye, les pays se sont réunis et ils ont trouvé la solution. Notre situation était critique bien avant la Libye. Si nos élections ont vraiment donné un gagnant, qu’ils imposent ce gagnant ! »

Bouaké, la ville rebelle est devenue un refuge 

Arrivés à Bouaké, les Ivoiriens du Nord se dépêchent de rentrer dans leurs villages, s’ils ont encore de quoi régler le transport. Ce qui arrange les autorités, dont la peur est d’avoir à gérer des réfugiés. Ahmed est un jeune transporteur qui habitait Adjamé. Il raconte : « On ne prie plus là-bas, car ils attaquent les mosquées. On ne porte plus le boubou blanc, car cela te désigne comme musulman. Les miliciens regardent si tu as la marque au front qui montre que tu es un musulman qui prie. »


Serge n’est pas musulman, mais il avait le tort de porter un nom du Nord. « J’étais aide-soignant dans une clinique d’Abidjan. J’habitais Abobo. J’ai fui les chasses à l’homme. J’ai fui aussi les balles perdues. » Il est entouré de trois femmes âgées, originaires comme lui de Khorogo, qui tentent de trouver une aide financière pour rejoindre leurs villages. On leur a pris argent et papiers d’identité sur la route avant Tiébissou.


Lundi 28 mars, le consul du Mali à Bouaké a pris sa voiture, demandé quelques gendarmes aux autorités locales pour escorter, depuis Bouaké jusqu’à la frontière nord, plusieurs cars de ses compatriotes qui fuyaient Abidjan. Certes, la route est plus calme qu’au sud. Mais les Forces nouvelles ont aussi leurs barrages, qu’il faut franchir moyennant finance.

Bouaké, la ville rebelle est devenue un refuge. Les forces républicaines – qui ont aussi commis, en leur temps, des exactions – sont sur le front de l’Ouest. Les habitants vivent en paix, tout le monde étant – officiellement – d’accord pour soutenir Alassane Ouattara.


On y trouve à peu près tout, par les camions qui viennent du Burkina Faso, du Nigeria ou du Ghana. Excepté l’argent liquide, qui manque depuis que les banques ont été fermées dans l’ensemble du pays. L’électricité et l’eau peuvent aussi être coupées quand le camp d’en face, à Abidjan, le décide. C’est ce qui s’est passé la semaine dernière pendant cinq jours.

À Bouaké, les prix des transports flambent 

À Bouaké, dépouillés par des Ivoiriens du Sud, les déplacés immigrés doivent être sur leurs gardes, ici aussi. Dans la ville, sur la route du nord, grouillante de monde, les agences vendent parfois des tickets pour des cars qui n’existent pas.


Des candidats au voyage dorment à même le sol depuis plusieurs jours entre les sacs. Le patron d’une de ces compagnies de transport assure qu’il a fait partir 100 cars en une semaine vers le Burkina Faso. Plus loin, un propriétaire de bétaillère annonce qu’il va à Ouagadougou. Il demande de relayer son « appel à tous mes frères d’Abidjan : venez ! ». Rien ne garantit qu’il soit de bonne foi.

À Bouaké, les prix des transports flambent avec la pénurie de véhicules. Le Guinéen Ahmed a payé 60 000 francs CFA (91 €) pour rentrer chez lui d’Abidjan, soit le double du prix habituel. Chez Abdul, de l’entreprise de cars burkinabé TSR, pas question de dormir dans la gare routière : « Je vends des tickets quand je sais que le car arrive. Dans notre compagnie, on respecte les droits de l’homme. Si tu paies, ta place assise est là. » À côté, un Burkinabé de Bouaké est d’accord. Il accompagne un jeune cousin arrivé d’Abidjan, pour qui il a acheté un billet de retour.


De temps en temps, dans cet enchevêtrement de gens, on voit passer le blanc immaculé d’un 4×4 des forces de l’Onuci. On peut ensuite le retrouver garé devant un des « maquis » (bars en plein air) de la ville.

Dans chaque paroisse, les responsables Caritas recensent les déplacés accueillis dans des familles, en attendant de remonter vers le nord. On assure ne pas faire de différences entre chrétiens et musulmans. Les autorités locales sont peu visibles. Elles veulent surtout éviter que les déplacés s’installent ici.


Pierre COCHEZ, à Bouaké

- http://www.la-croix.com/article/ind...

mercredi 30 mars 2011

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