Association Malienne des Expulsés

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Laissez-passer (France) / A Bamako, le violent retour à la case départ de Siabou le gréviste

Par Marie Barbier le lundi 12 avril 2010, 08:30 - Mali - Lien permanent


Siabou Diaberra, dans les rues de Bamako ©Marie Barbier

Autour du vendeur de cigarettes, des tabourets de fortune ont été posés sur la terre battue. Sous une chaleur étouffante, une dizaine de jeunes bamakois discutent autour d’une tasse de thé brûlant. Dans un pays où l’on n’ose même plus calculer le taux de chômage, les jeunes, forcés à l’inactivité, passent le temps comme ils peuvent. L’un d’entre eux ne parle pas beaucoup. Siabou Diaberra ne connait pas ce quartier de Bamako, ni ses habitants. Il est arrivé dix jours plus tôt, expulsé après huit longues années en France. Déposé comme un colis dans une ville où ne vit que sa « grande famille », des parents éloignés qui l’ont recueilli en attendant qu’il ait les moyens de rentrer dans son village, à plusieurs centaines de kilomètres.

Le verbe rare, Siabou Diabera n’est pas un revendicatif. Il ne crie pas au scandale. Mais énonce les faits. Gréviste sans papiers engagé dans le mouvement de lutte pour obtenir une circulaire de régularisation, il a été expulsé vers le Mali le 21 février dernier. Dans les locaux de l’Association malienne des expulsés (AME), en périphérie de Bamako, il montre une affiche des cercles des silences : le photographe Olivier Jobard y a pris sur le vif deux policiers embarquant de force, sur la passerelle d’un avion, un sans papiers, jambes scotchés, porté comme un paquet. « Ils m’ont fait ça ». Il baisse les yeux, regarde ses mains. Des cicatrices noires strient ses poignets, stigmates de ses menottes trop serrées.

L’expulsion n’est pas sans conséquences psychologiques pour ceux qui la subissent. « Pertes d’appétit, troubles du sommeil, insomnies, cauchemars, manque de confiance en soi, sursaut à un moindre bruit » énumère Haddia Diarra, psychologue clinicienne de Médecins du monde. Depuis septembre, l’association humanitaire a monté un partenariat avec l’AME pour la prise en charge des problèmes de santé mentale des expulsés. Siabou subit, lui, des pertes de mémoire. Il s’étonne de ne pas se souvenir de l’adresse de son premier piquet de grève ou du nom de son dernier employeur. Mais certaines dates restent gravées dans sa mémoire : le 24 avril 2002, arrivée à Paris. Il a 22 ans. Originaire d’une famille pauvre d’agriculteurs dans le village de Tichy, près de Kayes (Nord-Ouest du Mali), il n’est pas allé à l’école, ne trouve pas de travail. A ces raisons économiques, s’ajoutent une tradition culturelle : Siabou est Soninké, une ethnie voyageuse qui a presque élevé la migration au rang de devoir.
« Le 14e jour du dixième mois de l’année 2009 »...

Arrivé en France avec un visa touristique, le jeune malien trouve rapidement du travail. Un copain lui « prête » de vrais papiers. Pendant quatre ans, il prépare des salades dans un restaurant d’entreprise, préposé à la coupe des légumes. Quarante heures par semaine pour 880 euros net par mois. Après la restauration, le bâtiment, en intérim : démolition, coupe de ferraille. Siabou se fabrique de faux papiers, son patron s’en rend compte, le licencie.

Révolution : « Le 14e jour du dixième mois de l’année 2009 » Siabou sort de la clandestinité et se met en grève. « Je paye des impôts et des taxes, je voulais être régularisé. Ceux qui ont grévé ont eu des papiers, donc j’ai voulu faire pareil. »

Les quelque 1500 intérimaires grévistes, évacués de nombreux piquets, finissent par se retrouver au 103 de la rue la Fayette, à Paris. « Tous les jours, j’allais là bas. Faire signer des pétitions, organiser la collecte des Cerfa (certificat d’embauche, NDLR), faire la quête dans la rue ». Siabou est donc en grève depuis presque cinq mois quand, le 1er février 2010, à 10h10, il est arrêté lors d’un simple contrôle de police, au métro Château Rouge. Il a beau montrer sa carte de gréviste, rien n’y fait : gardé à vue pendant 48 heures, il est ensuite transféré au centre de rétention de Vincennes avant d’être présenté au consulat du Mali, qui doit délivrer un laissez-passer préalable à la reconduite à la frontière. Comment le consulat a-t-il pu donner le sésame à l’administration française alors que le jeune homme ne possédait aucun papier prouvant son identité ? Siabou assure que le consulat s’est servi de sa carte de gréviste. Au début du mouvement, chaque travailleur engagé dans le mouvement s’est vu remettre une carte, avec son nom et sa photo. Comble du cynisme, l’administration s’est servie de cette carte pour expulser Siabou. Lui secoue la tête, dépité. Il dit : « Depuis le 24 avril 2002, j’ai jamais fait de bêtises en France. Quand j’avais pas de quoi me payer un ticket de métro, je restais chez moi ».
Scotché au siège

L’expulsion de Siabou a été particulièrement violente. Certainement parce qu’ils le savaient gréviste et craignait sa résistance, les agents de la police aux frontières ont mis le paquet : six policiers – quatre en civils, deux en uniformes, l’accompagnent dans l’avion. Ses jambes et ses bras sont scotchés au siège ; ses poignets, menottés. Et les policiers d’expliquer : « Si on ne fait pas ça tu vas refuser d’embarquer ». Siabou était prêt à tout pour garder sa dignité, y compris à « s’acheter un billet d’avion pour rentrer tout seul ». Tout sauf ça. Mahamadou Keita, chargé de l’accueil à l’association malienne des expulsés, se souvient de son arrivée : « Il était sonné et ne parlait pas beaucoup. Il m’a donné une adresse, je l’ai laissé devant la porte de parents éloignés qu’il connaissait à peine, en pleine nuit. »

Depuis, Siabou attend. D’avoir un peu d’argent pour aller voir ses parents à Kayes. De voir comment il va pouvoir revenir en France. Car le retour est pour lui une évidence. Hors de question qu’il reste ici, où n’y a « rien à faire ». A l’Association malienne des expulsés, Amidou Coulibaly a qui il raconte son histoire lui dit : « Ce n’est pas normal que tu aies payé des impôts, cotisé à la sécu et que tu ne puisses pas être pris en charge ici. Ce n’est pas normal de faire ça. Nous ne sommes pas des animaux ». Siabou acquiesce. Silencieusement.

Article paru dans l’Humanité du 12 avril, dans le cadre d’un dossier spécial consacré aux six mois de lutte des travailleurs sans papiers.


Voir
- www.travailleurssanspapiers.org
- http://www.collectifdescineastespou...
qui a réalisé le film "On bosse ici ! On vit ici ! On reste ici !"

Film "On bosse ici ! On vit ici ! On reste ici !" réalisé par le Collectif des cinéastes pour les "sans-papiers" pour appeler à la régularisation des travailleurs sans papiers en grève et signé par plus de 300 cinéastes.

 

mardi 13 avril 2010

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