Souhad Touré est arrivée à New York un matin de décembre 1994, après avoir traversé l’océan Atlantique sur un bateau de marchandise en provenance de Dakar. Trois mois plus tôt, elle avait quitté Bamako, pour rejoindre, sans visa, son mari qu’elle n’avait pas vu depuis quatre ans. Elle l’a retrouvé à Philadelphie, où vit une importante communauté malienne, avant de déménager à Columbus, dans l’Ohio.
Onze ans plus tard, un jour de juillet, les services de l’immigration américains sonnent à sa porte pour l’interpeller. Avec ses enfants, nés sur le sol américain, elle est reconduite de force au Mali. Voici le récit de son expulsion, sans larme ni remords, racontée d’un trait, dans un souffle. Une expulsion ordinaire, au cours de laquelle elle a fait preuve d’une résistance de tous les instants. Nous nous sommes rencontrées dans les locaux de l’Association malienne des expulsés, à Bamako.

« C’était le jour de la finale de la Coupe du monde, en 2006. Ce jour-là, ils sont venus, l’immigration est venue chez moi. À cette période-là, je travaillais dans un grand magasin, avant j’avais été employée dans une maison de retraite et aussi dans un hôtel de luxe. J’avais mon social security,
mon numéro de sécurité sociale, je payais mes taxes, la maison était à
mon nom. Je vivais seule à Columbus avec mes enfants, mon mari était retourné à Philadelphie. Ce jour-là, j’étais avec mon cousin, ma sœur, on était en train de regarder le football et ils ont tapé à la porte. Ils ont dit : c’est l’immigration. J’ai ouvert. Ils m’ont dit : ces enfants-là, ils appartiennent à qui ? J’ai dit : ce sont mes enfants. Ils ont demandé ses papiers à mon cousin, il n’en avait pas, alors on est partis tous les deux à l’immigration.
Là-bas, ils ont pris tous les renseignements, mon fingerprint, everything, et puis après une heure, ils m’ont photographiée. Ils m’ont dit d’appeler un taxi pour repartir chez moi. J’ai dit : non, je n’ai pas d’argent. Alors ils m’ont donné de quoi téléphoner à quelqu’un pour venir me chercher.
Le lendemain, ils m’ont appelée à la maison. Ils m’ont dit : Souhad, tu es là ? Où tu travailles ? J’ai dit : rappelez-moi plus tard, car ma fille doit partir à l’école et j’emmène le petit au day care.
Le jour d’après, ils m’ont rappelée, ils m’ont dit : tu peux venir ?
J’ai dit : oui, je peux venir. Ils m’ont dit : Souhad, on doit faire
l’enquête, tu dois prendre le passeport pour qu’on vérifie si tu es malienne ou mauritanienne. J’ai dit : je suis malienne, je vous l’ai déjà dit, c’est écrit sur mon acte de naissance. Alors j’ai
contacté mon ambassadeur. Il m’a dit : alors Souhad tu as des problèmes
avec l’immigration ? J’ai dit : moi je n’ai pas de problème. Ils sont
venus chez moi, je leur ai donné toutes mes coordonnées. Moi j’ai mes
enfants ici, ils ne sont jamais passés en Afrique.
Le lendemain, le
monsieur m’a demandé d’arrêter de travailler. J’ai dit : je ne peux pas. Si
j’arrête de travailler, qui va prendre en charge les enfants ? Moi, je
ne perçois pas les aides, le welfare. Je paie l’école, je
paie tout. Ils m’ont dit : tu dois arrêter de
travailler, là maintenant. J’ai dit : non, je continuerai d’aller au travail.
Je leur ai dit que le jour où
ils seraient prêts à m’envoyer en Afrique, je partirai. Je n’ai pas
volé, je n’ai pas de crédit, je n’ai tué personne, je ne suis pas dans
la drogue. Moi, je
ne vais pas me cacher, j’ai mes enfants, je vais les emmener à l’école,
j’ai la maison à mon nom, c’est mon adresse, mon numéro de téléphone.
Alors, ils m’ont demandé de venir avec les enfants
pour prendre leur photo pour faire leur passeport. J’ai dit : je n’ai pas
d’argent pour cela. Vous m’avez dit d’arrêter le travail,
qui va payer ?