Association Malienne des Expulsés

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Migrations : la dure réalité du retour
©UN PHOTO - Sylvain Liechti 2014

Imagine demain le monde - Refoulés, expulsés, rapatriés... Que deviennent les migrants une fois qu’ils sont rentrés au pays ? Après un exil manqué en Europe, ils vont devoir affronter la dure réalité du retour. Entre espoirs déçus, représailles éventuelles et une vie à reconstruire.

« Les personnes qui nous arrivent sont parfois prostrées, silencieuses, raconte Coulibaly Amadou, chargé de l’accompagnement social pour l’Association malienne des expulsés. D’autres souffrent de lésions laissées par les coups reçus durant leur expulsion. Nous les soignons, si nécessaire, les nourrissons et leur proposons un hébergement pour trois jours. »

L’équipe de l’AME agit avec tact, patience et humanité. Elle devra identifier les arrivants, créer un lien de confiance, prévenir soit leur famille soit leur consulat pour organiser au mieux leur retour. « Comme nous sommes nous-mêmes d’anciens migrants, cela facilite les contacts », poursuit Coulibaly. Car, après cet exil manqué et son lot de traumatismes, il faudra subir la honte, l’échec, le regard de l’entourage, les éventuelles représailles... « Les jeunes n’oseront pas rejoindre leurs familles les mains vides, car elles ont rassemblé une telle fortune pour financer leur voyage. Ils devront faire un choix douloureux entre affronter ce retour difficile au pays ou reprendre le chemin très incertain de la migration. S’ils veulent repartir, ils sont libres de le faire. Dans tous les cas, ce sont eux qui décident. Au final, beaucoup renonceront à l’aventure après avoir mesuré la dangerosité du voyage ou effrayés par les violences subies en Libye ou en Algérie. »

L’attitude des autorités sur place ? « Il y a vingt ans, un refoulé allait directement en prison dès son arrivée à l’aéroport de Bamako, poursuit l’accompagnant malien. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, nous avons des observateurs dans les aéroports qui s’assurent que tout se passe bien. Nous faisons également des maraud en ville pour repérer les migrants qui traînent en rue, avant de les ramener dans nos locaux. Si nécessaire, nous avons par ailleurs des avocats pour les défendre face à la police ou devant les tribunaux. »

« Au retour, le candidat malheureux à la migration doit expliquer à ses parents les raisons pour lesquelles il n’ira pas, ou n’ira plus gagner sa vie en Europe. »

L’Association malienne des expulsés a vu le jour en 1996, dans la foulée des premières vagues d’expulsions organisées depuis l’Europe, l’Arabie saoudite et d’autres pays d’Afrique comme l’Angola, le Libéria et la Zambie.
A l’époque, elle a notamment organisé une marche de soutien dans Bamako pour faire libérer septante-sept Maliens expulsés de France via le « 36e charter Debré », du nom du ministre français de l’Intérieur de l’époque, Jean-Louis Debré, et emprisonnés ensuite au Mali. Soutenue ça et là par diverses ONG du Nord, dont Emmaüs France, l’AME a ensuite ouvert une maison d’accueil qui encadre aujourd’hui les migrants de retour au pays.

« Un retour prématuré peut entraver tout un projet de vie » Jill Alpes, Free University Amsterdam

Le désarroi des jeunes expulsés ou refoulés, Jill Alpes, chercheuse à la Free University Amsterdam, le connaît bien pour l’avoir longuement observé au Cameroun et en RDC.

« Au Cameroun, la mobilité sociale n’est possible que si vous avez des contacts avec l’étranger ou que vous avez acquis une formation en dehors du pays, explique cette jeune spécialiste des migrations. Un retour prématuré s’avère donc extrêmement frustrant car il peut entraver tout un projet de vie. »

Ce retour peut se révéler d’autant plus douloureux et pénible que le migrant s’expose à la violence et à l’arbitraire de ses propres autorités nationales. « Au Cameroun, les rentrants risquent de passer un séjour en détention dans des conditions très difficiles, poursuit la chercheuse. La famille doit alors payer pour faire libérer leur parent emprisonné. Sous couvert de lutte contre l’émigration illégale, la législation camerounaise entretient, en réalité, la corruption des juges, des greffiers et des policiers. »

En République démocratique du Congo, les rapatriés sont systématiquement suspectés d’avoir cherché à comploter contre le régime. Avec les risques que cela comporte. Ainsi, une étude du Home Office, le ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni, montre que tous les arrivants sont tenus de s’expliquer devant le Bureau congolais de la migration dès leur arrivée à l’aéroport.

« Ces agents des frontières savent que le seul moyen de légaliser un séjour à l’étranger est d’obtenir le statut de réfugié, reprend Jill Alpes. Toute personne expulsée a donc inévitablement demandé, sans l’obtenir, le droit d’asile en déclarant souvent son opposition au président, ce qui est éminemment suspect. De plus, les rapatriés ont été en contact avec des Congolais de l’étranger qui sont notoirement très critiques envers le régime. »

Le Home Office s’inquiète également que les rapatriés en RDC jugés fortunés doivent s’acquitter de sommes comprises entre 6 000 et 25 000 dollars pour échapper à une détention prolongée. Dans certains cas, ils sont arrêtés, non dans l’enceinte de l’aéroport, mais plus discrètement à leur domicile dans les heures qui suivent leur retour.

« Au vu des risques encourus par les personnes expulsées vers certaines destinations, les pays qui ordonnent l’éloignement devraient prendre certaines précautions, alerte la chercheuse. Une personne refoulée à la frontière pour ne pas avoir fourni de garanties suffisantes de solvabilité ou une réservation d’hôtel ne peut pas dissimuler son statut car son passeport est tamponné de la mention “refoulé”. Quant aux expulsés, leurs documents de voyage sont remis directement par les hommes de l’escorte, ou à défaut par le commandant de bord, à la police des frontières. »

Ces procédures d’expulsion, depuis la Belgique notamment, posent question : « Faut-il faire autant de publicité autour d’un éloignement ? Est-il vraiment nécessaire d’éloigner ces personnes à tout moment ?, s’interroge Jill Alpes. Un expulsé qui débarque un vendredi soir dans un aéroport risque fort de passer le week-end en cellule jusqu’à l’arrivée, le lundi matin de l’officier de police qui statuera sur son sort. On m’a rapporté le cas malheureux de Pakistanais bloqués durant toute une semaine à l’aéroport, car ils avaient été expulsés à la veille d’une fête nationale. »

Au Niger, pays de transit vers la Méditerranée, Tcherno Hamadou Boulama, de l’association de défense des droits de l’homme et d’aide aux migrants Alternative espaces citoyens, voit passer des jeunes gens de toutes les nationalités. Certains filent vers la Méditerranée, d’autres fuient la Libye, tous affichent une détermination qui ne cesse de l’étonner.

« Il y a le désespoir, le vide, l’absence de perspectives » Tcherno Boulama (ADDH)

« Le désespoir, le vide laissé par la perte de parents, l’absence de perspectives sont tels qu’ils n’ont plus rien à perdre, observe-t-il. Les jeunes des banlieues du Sénégal prenaient le chemin en criant “Barça ou Barzakh” (Barcelone ou la mort). Aujourd’hui, les migrants bloqués à Agadez (ex-capitale des Touaregs, devenue le refuge des migrants fuyant l’Algérie ou la Libye) affirment “préférer mourir en mer que devant leur mère”. Il faut garder en tête que dans certains pays d’Afrique de l’Ouest, les envois de fonds des migrants représentent une véritable bouffée d’oxygène pour les économies locales avec des montants plus élevés que l’aide publique au développement. »

Dans les rues de Dakar, au Sénégal, Mignane Mamadou Diouf, coordinateur du Forum social sénégalais, partenaire du CNCD-11.11.11, croise quotidiennement de jeunes candidats à la migration qui ont échoué dans leur projet. « Ils apparaissent désœuvrés, se désole-t-il, obnubilés par la question de leur avenir, du travail, de leur place dans la société et dans leur famille. »

Et l’activiste de s’interroger sur la manière de mettre fin à ces exodes massifs : « Il faut proposer un autre projet à ces jeunes par des politiques de création d’emploi. Mais il est très difficile de les réunir dans un groupe de pression pour faire bouger les choses, chacun se repliant sur ses rêves brisés. Il y a pourtant beaucoup d’exemples de retour réussis. Des jeunes, des personnes plus âgées, rentrées volontairement ou non, qui ont lancé un projet réussi dans leur village. On les retrouve planteurs de bananes ou de mangues, cultivateur de tomates ou d’oignons dans les villages de l’arrière-pays. Il faudrait mettre leur exemple en avant, pour montrer qu’une vie après un projet de migration raté est possible. »

Jean-François Pollet - 22 mars 2018
source : https://www.cncd.be/migrations-real...

jeudi 22 mars 2018

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