17 Juillet 2010 Par Carine Fouteau
Expérience radiophonique mémorable dans les locaux dépouillés de l’Association malienne des expulsés (AME). D’un coup, la connexion est établie. Un prisonnier malien parle en direct des geôles libyennes sur deux radios locales de Bamako, Kayira et Djekafo. Enfermé depuis novembre 2009, il raconte les coups, les diarrhées, l’absence totale de droits, l’humiliation. En ligne sur son téléphone portable, à l’écart des gardiens, il s’exprime en bambara, une femme me traduit à l’oreille, ça grésille.
« Dans un coin, il y a de l’eau filtrée, mais on nous tape dessus quand on essaie d’aller boire. Les gardiens font tout payer, l’eau, les médicaments. Tous les jours, on nous fouette, on vit dans la galère. Quand j’appelle l’ambassade (du Mali), on me dit qu’il n’y a rien à faire, qu’on est en Libye, c’est comme ça. On ne peut pas prier, il n’y a pas d’eau pour les ablutions. Les Libyens disent qu’ils sont musulmans, mais dans les actes, ils ne le sont pas. On nous traite comme des animaux. Depuis dix jours, je suis malade, je n’ai pas d’argent pour payer, il faut m’aider. »
Son appel au secours est passé. Arrêté dans la rue sans titre de séjour, il n’a commis ni vol, ni crime. Il est détenu pour une durée illimitée, hors procédure légale, sans assistance d’aucune sorte, dans l’une des six ou sept prisons du pays – personne n’en connaît le nombre exact – comme des milliers d’autres migrants d’Afrique subsaharienne venus pour travailler dans la construction, la restauration ou l’agriculture. Depuis la normalisation de ses relations avec l’Union européenne, obtenue en échange d’un durcissement des contrôles aux frontières, la Libye multiplie les retours forcés : plus de 500 Maliens ont été renvoyés en un an. Le dernier avion a atterri à Bamako le 3 mai 2010, avec à son bord 149 expulsés.
Ce jour-là, certains des rapatriés sont réunis à l’AME, où ils ont été accueillis après avoir été débarqués, démunis et sans repère à l’aéroport. Ils ont tout perdu, mais ils sont libres. Ils hochent la tête en écoutant le témoignage du prisonnier. Eux aussi sont invités à intervenir dans l’émission. Ils évoquent les tortures morales et physiques et disent leur écœurement à l’égard des autorités libyenne et malienne.
« Pourquoi nous avoir tenu enfermés si longtemps ? Pourquoi nous avoir traités comme des chiens ? Pour nous couper l’envie de revenir ? Que fait notre pays pour défendre ses ressortissants ? », s’indignent-ils. Après Tripoli, autre décrochage, direction Paris, toujours en direct. Des militants réunis devant l’ambassade de Libye en France, ce mardi 25 mai, expriment leur soutien aux expulsés. Ovation dans la salle de réunion de l’AME, même si la mobilisation parisienne, on l’a appris par la suite, était faible.